Douze ans de pontificat: le Pape hospitalisé, une vulnérabilité féconde
Entretien réalisé par Marie Duhamel – Cité du Vatican
Ardent défenseur d’une Église missionnaire en sortie, François, dès le début de son pontificat, appelait à aller «chercher ceux qui sont loin et arriver aux croisées des chemins pour inviter les exclus» (Evangelii Gaudium 24). Le Pape veut édifier une Église «hôpital de campagne» qui, à l’instar du Bon Samaritain se penchera sur l’homme blessé et laissé pour mort. Il dénonce la culture du rejet qui frappe notamment les individus jugés comme étant les moins productifs, tels que les malades ou les personnes âgées. «La grandeur d'une société se mesure à sa capacité d'accueillir les plus fragiles», répètera-t-il.
Éduqué dans la foi par sa grand-mère Rosa, François instituera une Journée des grands-parents, soulignant le socle qu’ils représentent pour leur famille, la société et l’Église. Avec trois voyages apostoliques à l’étranger en 2024, le Pape François témoigne d’une grande vitalité, mais à 88 ans, son corps s’affaiblit. Avant son hospitalisation le 14 février, on le voyait s’essouffler et se mouvoir avec difficulté, faisant usage d’un fauteuil roulant en public. Entretien avec Marie-Jo Thiel, médecin, professeur émérite d'éthique à la faculté de théologie de l'Université de Strasbourg et membre de l’Académie pontificale pour la vie.
«Je sens dans mon cœur la bénédiction qui se cache dans la fragilité», assurait récemment le Pape François depuis le Gemelli. Hospitalisé depuis le 14 février, il fait en effet expérience à son tour de la maladie et de la vulnérabilité. Comment l’appréhende-t-il selon vous?
À un moment donné, le Pape ne pouvait plus marcher, et j’ai été frappée par son acceptation de la chaise roulante, car la chaise roulante véhicule une image. Y recourir, c'est accepter d'être dépendant, et montrer à tout le monde qu'on accepte de se reconnaître vulnérable. Dans cette vulnérabilité, nous avons vu qu’il trouvait-là la force et le courage même de voyager. J’y vois une attitude véritablement adulte, une acceptation de la situation, en acceptant de recevoir en Christ la force de la proximité avec tous. Le Pape parle de «l'odeur des brebis». Moi, en considérant son parcours de vie, ce lobe de poumon enlevé quand il était jeune, ces malades qu’il a fréquenté, cette chaise roulante à laquelle il a recourt et cette longue hospitalisation, j'ai envie de dire qu’il «prend l'odeur de l'hôpital», pour se faire proche de tout le monde.
Depuis le Gemelli, François a d'ailleurs dit remercier Dieu qui lui donne «l'opportunité de partager dans le corps et dans l'esprit la condition de toute personne malade».
Je définie la vulnérabilité comme une porosité ontologique, c'est-à-dire que c'est par elle que Dieu entre d'abord en nous, que nous entrons également en Dieu, et que nous sommes en relation les uns avec les autres. Un croyant, et a fortiori le Pape, est réceptif à Dieu. Il ouvre toutes les portes et les fenêtres de son cœur et ça le rend encore plus vulnérable.
Donc depuis sa chambre d’hôpital, non seulement le Pape est malade, mais il ressent à travers sa vulnérabilité la maladie de tous les autres. Et je crois qu’il ressent en plus quelque chose de la fécondité de la vulnérabilité, en termes de proximité avec le Christ. Il goûte quelque part la chair du Christ. Il a parlé à plusieurs reprises, de la chair du Christ, présente dans la chair des patients. Ce côté relationnel est absolument fondamental, et François trouve sa force en cela.
«Plus forts, parce que vulnérables» est le titre d’un de vos ouvrages, publié avec un avertissement. Il ne s'agit jamais, dites-vous, de consentir à la souffrance pour souffrir.
En ce qui concerne le Pape, c'est tout à fait clair, c'est une foi adulte, ce n'est pas du dolorisme. Un excès de souffrance doit être traité. À ce propos, je trouve également frappant que, durant tout ce mois d'hospitalisation, lors duquel il a subi des traitements qui n’étaient pas toujours agréables pour prendre soin de lui, son courage était toujours à l'ordre du jour. Il ne s'est pas, a priori, laisser abattre, comme le laissent entendre les informations qui nous parviennent. Tous les jours, nous avons constaté cette transparence responsable de nos communicants. C’est un point là-aussi important. Nous avons des nouvelles de l'état de santé du Pape parce que le Pape l'a demandé. J’y vois une attitude humainement et chrétiennement responsable.
Malade, «nous apprenons à faire encore plus confiance au Seigneur», confiait François il y a quelques jours. Cette hospitalisation n'est-elle pas une opportunité d'espérance?
Je crois que vraiment, oui. Le Pape nous donne, à ce niveau, beaucoup d'espérance. Il nous offre des attitudes positives et, comme il nous le rappelle «l'espérance ne déçoit pas» (ndlr, il s’agit de l’intitulé de sa bulle d’indiction du Jubilé). François nous a parlé de la présence de Dieu auprès de ceux qui souffrent dans son dernier Message pour la Journée mondiale du malade, en rappelant que «l'espérance nous rend forts dans l'épreuve» (Rm 5,5). Il me semble que la vulnérabilité, c’est cela. L’Évangile nous rend vulnérables. Nous sommes beaucoup plus réceptifs à la souffrance quand nous nous sentons nous-mêmes vulnérables, plutôt que lorsque nous sommes comme dans une tour fermée. Donc c'est tout cela: ne pas avoir peur de la vulnérabilité et vivre de l'espérance qui donne toute sa fécondité dans l'épreuve.