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Marie-Pierre Elogne, fondatrice de la Maison Saint-Joseph à Bonoua en Côte d'Ivoire, et de l'ONG «Crescendo vie». Marie-Pierre Elogne, fondatrice de la Maison Saint-Joseph à Bonoua en Côte d'Ivoire, et de l'ONG «Crescendo vie».  Histoires d'Espérance

Côte d’Ivoire: être aux côtés des enfants abandonnés et grandir en humanité

À Bonoua, ville située au sud-est de la Côte d’Ivoire, c’est avec amour, joie, et espérance que Marie-Pierre Elogne s’occupe, avec son équipe, d'enfants handicapés psychomoteurs, parfois abandonnés sur des rails, dans des étals de marchés la nuit, ou encore dans des hôpitaux. La fondatrice de la Maison Saint-Joseph exhorte les personnes adultes à «regarder leur humanité, en leur offrant un sourire et de l’affection».

Myriam Sandouno - Cité du Vatican

La Maison Saint-Joseph voit le jour en 2015 à Grand-Bassam, et s’installe à Bonoua en 2017. Des années auparavant, sa fondatrice, ayant pris sa retraite anticipée de la fonction publique ivoirienne en 2002, ressentait le désir «de faire un travail social, basé sur la doctrine sociale de l’Église, et vivre cela comme un témoignage chrétien». Elle a ainsi mis en place l’ONG «Crescendo vie», «la vie qui grandit», avec un programme de formation, «car c’est ainsi que je le voyais, pour aider les personnes... Puis, sont arrivés les enfants en situation de handicap».

En effet, au cours d’une retraite, pendant la prière, confie Marie-Pierre N’Guessan Elogne, «il m’est venu à l’esprit» cette phrase: «Et ceux qui n’ont pas de parents, ceux qui sont abandonnés». «J’ai compris que le Seigneur me parlait, j’ai donc décidé de les accueillir». C’est ainsi que plusieurs mois après est née la Maison Saint-Joseph, nous raconte-t-elle.

Marie-Marcelle, en situation de handicap, impacte la vie de la fondatrice

L’histoire de la Maison Saint-Joseph débute avec la toute première arrivée, «la petite Marie-Marcelle», qui avait été abandonnée. «Quand on l’a reçue, explique la fondatrice, «elle avait un âge physiologique évalué à 6-7 ans, et un âge mental évalué à 1 an et demi, 2 ans». Aujourd’hui âgée de 17 ans, Marie-Marcelle a pu être aidée grâce au soutien de la Maison Saint-Joseph, à la détermination et la foi en l’espérance de Marie-Pierre Elogne. Accueillie sans moyens, Marie-Marcelle était «victime d’un profond traumatisme, et pouvait crier de 18 heures à 2 heures du matin». La situation était certes embarrassante pour la responsable de la Maison d’accueil, mais Marie-Pierre Elogne tenait à apporter son aide. «Je sentais en moi qu’il fallait dire 'oui'. Je n’avais aucune expérience en dehors de ce que j’ai vécu en 1986», affirme-t-elle, faisant allusion à ce travail d’assistance sociale au sein de la fonction publique ivoirienne, qu’elle exerçait. Les premiers projets pour la période de 1986-1987 concernaient les enfants en situation de handicap.

Dans son aventure avec Marie-Marcelle, la fondatrice de la Maison Saint-Joseph a été soutenue par une pédopsychiatre, qu’elle avait jadis encadrée comme enfant de chœur. «Comme quoi les voix de Dieu sont insondables, lance-t-elle. Et on a pu vraiment aider cette petite fille». Polyhandicapée, «très affectueuse et très attachante», Marie-Marcelle marque positivement la vie de sa tutrice. «Elle m’a vraiment fait grandir dans mon humanité, dans mon appréhension de l’être humain, de ma foi. Je lui dois ce que je suis aujourd’hui; elle m’a beaucoup appris et elle continue de m’apprendre», reconnait Marie-Pierre N’Guessan Elogne qui se réjouit de l’évolution de Marie-Marcelle qu’elle surnomme affectueusement, «la petite fondatrice», parce que c’est avec elle que l’aventure a commencé. Elle est là, et aujourd’hui, poursuit la responsable, elle est capable de se mettre une cuillère dans la bouche, elle ne crie plus, avec tous les traitements faits, dont la câlinothérapie».

Des abandonnés et atteints d’un lourd handicap

Son expérience auprès de Marie-Marcelle l'«a encouragé à accueillir d’autres enfants» avec tant d’espérance, confie Marie-Pierre Elogne. Avec sa structure, elle prend soin de plusieurs enfants atteints d’un «handicap lourd, une infirmité motrice cérébrale. C'est une expression, je dirais, générique qui prend en compte, ici dans notre pays, les enfants en situation de handicap intellectuel, handicap mental, dont le cerveau est touché, et qui n’arrivent pas pour la plupart à parler, à marcher, à être autonome, et à se mouvoir. À partir du moment où le cerveau est profondément touché, ils ont des soucis pour se mouvoir», affirme-t-elle. 

Poursuivant Marie-Pierre Elogne explique «qu’il faut beaucoup de stimulation pour que le corps se réveille, et que les neurones s'éveillent…La plupart d'entre eux ne savent pas déglutir, lorsqu’on leur donne à manger, il faut les masser pour leur permettre d’avaler. Ce sont vraiment des enfants en situation de handicap lourd, ils ont très peu d’autonomie ou pas du tout», insiste-t-elle. Ces enfants, qu’elle appelle avec fierté «mes enfants», et dont l’âge varie entre 5 ans et 24 ans, ont été abandonnés; soit retrouvés sur des rails ou dans une maison inachevée; dans des étals de marchés la nuit ou alors dans des hôpitaux. «Ce qui veut dire qu’on n’en veut pas! C’est un abandon», déplore Marie-Pierre Elogne, indiquant ensuite que certains sont parfois recommandés par des centres sociaux ou par des religieux.

La découverte d’une enfant laissée en pleine nuit dans un carton

Il y a deux mois, la Maison Saint-Joseph a accueilli une enfant abandonnée, «un petit ange, dont l’âge est évalué à 2 ans et demi ou 3 ans, par rapport à la vivacité de son regard, même si son corps semble petit. Elle est non verbale, mais la vivacité de son regard nous dit qu’elle peut avoir cet âge». C’est avec tant d’affection que Marie-Pierre raconte cette récente expérience vécue: «On l’a déposée dans un carton devant notre portail. Une nuit, vers 21 heures, le gardien a entendu sonner. Se rendant aussitôt en direction du portail de la Maison Saint-Joseph, il aperçoit une personne partir en courant, et entendit ensuite des pleurs derrière les fleurs et plantes. C’est ainsi qu’il découvre une enfant mise dans un carton, et qu’il fit ensuite entrer dans la Maison Saint-Joseph», raconte-t-elle. Des démarches de déclaration à la gendarmerie ont ainsi été entreprises par la maison d’accueil; la petite fille abandonnée portera ensuite le prénom de Marie-Danielle choisi par la fondatrice.

Pourquoi ce choix?: «Parce ce que c’est en 2024, au mois d’octobre, mois du rosaire, de la Vierge Marie, que la Maison Saint-Joseph a accueilli cette petite fille, précisément, poursuit-elle, le 10 octobre, fête de saint Daniel, un franciscain». En effet, l’Ordre des franciscains ayant pour fondateur saint François d’Assise, a toujours été aux côtés des pauvres.

L’abandon des enfants en Côte d’Ivoire intrigue Marie-Pierre Elogne. Au-delà de ce qui pourrait expliquer un tel rejet, certaines pratiques et croyances les assimilent encore aujourd’hui dans ce pays d’Afrique de l’Ouest, et dans bien d’autres sur le continent, à «des enfants serpents, parce qu’ils ne marchent pas ou rampent; à des sorciers ou des génies, dont il faut se débarrasser».

Difficultés, espérance et acte de foi

Dans cette tâche «difficile» qui consiste à accompagner ces enfants handicapés psychomoteurs abandonnés, la fondatrice relève «un acte de foi». «Il y a une charge émotionnelle très forte. Un enfant qui est non verbal, quand il est malade, c’est compliqué. On court tout le temps à l’hôpital, et pour chacun des enfants la situation est différente. Nous avons parfois des décès». Mais, face à une telle situation et aux défis à relever pour le bonheur et l’épanouissement de «ses enfants», Marie-Pierre Elogne ne compte pas baisser les bras, attachée à l’espérance et à sa foi en Jésus. La Maison Saint-Joseph bénéficie parfois du soutien de la Congrégation Don Orione, à Bonoua, ainsi que de bienfaiteurs. Elle organise des activités ludiques, des moments de sport, des anniversaires, des fêtes comme celle de Noël, «même si nous n'avons pas beaucoup de moyens… Nous vivons de la providence». 

Des moments de prière sont également organisés à la Maison Saint-Joseph, et souvent «nous leur confions des intentions. Moi je les appelle 'les anges', et je me dis aussi souvent que, leurs anges sont avec eux. Car quand on voit le résultat, nous sommes stupéfaits. Les aides maternelles peuvent en témoigner». Et parmi le personnel, poursuit Marie-Pierre, «il y en a qui ont fait leur chemin de catéchuménat, qui ont été baptisés et ont régularisé leur situation. Tout cela, c’est bien le vécu de la maison Saint Joseph».

Donner du sourire et regarder «l’humanité»

Témoignant de l’espérance et de la foi qui se vit à la Maison Saint-Joseph, Marie-Pierre Elogne, d’une voix si douce qui dégage plein d’amour, invite les adultes à «regarder l'humanité» des enfants. Pour elle, «le plus beau cadeau que l’on puisse faire, c'est un sourire. Car le sourire qu'on donne à autrui, lui dit: “je te considère comme un être humain“. Cela renforce l'estime de soi chez la personne». Et souvent, note-t-elle, «on a l'impression que les enfants n'ont pas besoin de cette estime de soi, pourtant, ils en ont besoin. Le sourire va non seulement renforcer cette estime, mais va leur donner aussi de la chaleur au cœur». À ce sourire l’on peut ajouter des moments de repas ou des petits cadeaux: «Que ces enfants ne se sentent pas marginalisés, mais plutôt en communion avec d'autres».

La fondatrice de l’ONG «Crescendo vie» exhorte «à ne pas regarder la religion», mais «lhumanité» qui se trouve en chaque homme. «Car Jésus vient comme un enfant, pas avec une religion. Il vient comme le mystère de l'incarnation, il vient sauver l'être humain». Il incombe donc aux chrétiens cette responsabilité de «dire ce message de Jésus qui transcende tout». Pour conclure, Marie-Pierre Elogne «encourage tous les adultes, où qu'ils soient, à poser un regard d'affection et à donner du sourire accompagné d'un geste matériel, qui fasse plaisir à un enfant, quel qu'il soit».

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13 janvier 2025, 13:02