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Colombie: l'ELN et le gouvernement autour de la table de négociations. Colombie: l'ELN et le gouvernement autour de la table de négociations.  Histoires d'Espérance

Colombie: Église et État à l'œuvre pour une paix juste et durable

Pauvreté, migrations, guérilla sont les trois principaux axes de lutte de l’Église colombienne qui collabore étroitement avec les institutions étatiques pour la construction d’une paix juste et durable. Entretien avec Mgr Héctor Fabio Henao, délégué de la conférence épiscopale de Colombie pour les relations avec l’État.

Jean-Charles Putzolu – cité du Vatican

Après plusieurs décennies de conflit avec les mouvements rebelles, et l’accord de paix avec les FARC signé en 2006, le pays est aujourd’hui dans une phase délicate de négociations avec un autre mouvement de guérilla, l’ELN. Au-delà du dialogue avec les mouvements rebelles, la Colombie a encore de nombreux défis à relever, comme le taux de pauvreté, en diminution mais toujours élevé, les migrants et les personnes déplacées. Dans tous ces domaines, l’église apporte sa contribution pour la construction d'une paix juste et durable. La conférence épiscopale a délégué un évêque, Mgr Héctor Fabio Henao, pour les relations entre l'Église et l'État. Entretien.

Mgr Héctor Henao, si nous faisons un pas en arrière et revenons à 2006, lorsque le gouvernement et les rebelles des FARC ont signé un accord de paix, peut-on dire que c'est à partir de ce moment-là que l'espérance a recommencé à croitre en Colombie?

Oui, l’espérance a recommencé à grandir après l'accord de paix avec les FARC. À l'époque, il y avait beaucoup d'espoirs dans le pays, dans tout le pays, malgré des groupes rebelles restés dans les régions plus éloignées. L'Église n’a jamais cessé de travailler dur pour redonner l’espérance, pour donner aux gens qui souffraient, aux familles, la possibilité d'être en contact avec l'État et aussi d'être en contact avec tous ceux qui ont la responsabilité de conduire le pays vers la paix.

Aujourd'hui, cet accord de paix avec les FARC porte ses fruits. Où en est le dialogue avec l'autre grand groupe rebelle, l'ELN?

Nous avons entamé des pourparlers avec l'Armée de libération nationale (ELN). Les négociations sont dans une phase difficile mais nous continuons à travailler pour permettre une plus grande participation de la population, pour offrir à tous les secteurs de la société colombienne la possibilité de participer de manière très claire et de s'exprimer sur les transformations territoriales, sur les transformations que le gouvernement et le pays doivent mettre en œuvre pour les plus pauvres, pour les populations des régions encore touchées par la violence.

Ces dernières années, le taux de pauvreté est malheureusement resté élevé, mais il a tout de même diminué. Est-ce l’un des fruits de la paix qui s'installe progressivement?

C'est un signe que la paix commence à porter ses fruits. Nous travaillons pour la paix, mais de nouveaux problèmes surgissent; la violence ne s'arrête pas immédiatement, il y a encore beaucoup de situations difficiles dans les campagnes. Il y a des régions où les forces gouvernementales et les groupes rebelles combattent toujours, mais les étapes franchies sur le chemin de la paix nous ont donné la possibilité d'un plus grand développement et ont apporté de plus grandes opportunités aux jeunes. Nous nous efforçons de donner aux jeunes la possibilité de travailler, d'avoir une éducation de qualité, et cela commence à donner des résultats.

Mgr Henao, il y a aussi la question des personnes déplacées en Colombie à cause de décennies de guerre. Ces personnes peuvent-elles aujourd'hui espérer commencer à rentrer chez elles?

Près de six millions de personnes ont été contraintes de se déplacer à l'intérieur du pays. Il y a trois groupes: les personnes qui sont rentrées chez elles après plusieurs années passées d’éloignement et qui ont réussi à obtenir de nouvelles opportunités dans la vie; un autre groupe est resté dans des petites villes non loin de la terre où ils avaient vécu toute leur vie; un dernier groupe est constitué de ceux qui se sont réfugiés dans les grandes villes et qui y sont restés parce qu’ils ont commencé une nouvelle vie. Il y a bien sûr des personnes qui n'ont pas encore trouvé de solutions, mais d'autres, grâce à l'aide de l'Église et d'autres institutions, ont réussi à trouver de nouvelles opportunités.

Nous pourrions également parler de la question migratoire car la Colombie est l'un des pays d'Amérique centrale qui accueille le plus grand nombre de migrants et qui les voit malheureusement essayer de traverser le Darién pour se rendre aux États-Unis. Que savez-vous de cette situation?

De nombreux migrants viennent d'Asie, d'Afrique, du monde entier, même des pays voisins comme le Venezuela, Haïti, et d’autres pays du continent américain. Des personnes du monde entier essaient de rejoindre la Colombie, de la traverser, puis d'aller en Amérique centrale, en passant par le Darién, qui est une forêt très difficile à traverser. Ces personnes souffrent donc beaucoup, et nombre d’entre elles tombent entre les mains de trafiquants d'êtres humains pour se rendre aux États-Unis et beaucoup meurent en essayant de traverser le Darién. De très nombreuses personnes sont mortes à cause de la violence et de la pression exercée par ces trafiquants.

Comment, concrètement, l'Église catholique colombienne intervient-elle en faveur des populations vulnérables, qu'il s'agisse de migrants ou de Colombiens en situation de souffrance ou de pauvreté?

L'Église en Colombie s'est engagée depuis de nombreuses années en faveur des populations vulnérables. Il existe de nombreux programmes d'éducation, ainsi que d'autres programmes qui traitent uniquement des questions rurales et agricoles. Nous avons développé des programmes très importants pour l'accueil des migrants. L'Église accueille les personnes déplacées, mais aussi les migrants qui viennent d'autres parties du monde. Beaucoup de programmes portent sur le développement humain pour aider la population, aussi bien pour lui permettre de se nourrir que de retrouver sa dignité.

Vous participez activement aux pourparlers de paix et représentez l'Église dans ses relations avec le gouvernement. Comment imaginez-vous l'évolution de la situation vers la paix et comment se présente-t-elle?

Tout se déroule lentement. En général, la mise en œuvre des accords de paix prend beaucoup de temps. La Colombie aura encore besoin d'une dizaine d'années, à mon avis, pour mettre en œuvre l'accord avec les FARC et avec d'autres groupes rebelles. La volonté politique de rester ouvert au dialogue est très importante pour rechercher des solutions négociées, des solutions politiques, naturellement avec des transformations très fortes, très radicales des situations sociales, dans les campagnes, dans les régions affectées par le conflit armé. Il faudrait des mesures plus importantes encore pour donner à la population l'accès à la santé et à beaucoup d'autres éléments essentiels. L'Église a fait de grands efforts mais il reste encore beaucoup à faire pour encourager l'État à aller vers une paix stable et durable.

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15 janvier 2025, 09:00