Recherche

Le Pape Léon XIV a reçu au Vatican le Grand rabbin de Rome, le 11 décembre 2025. Le Pape Léon XIV a reçu au Vatican le Grand rabbin de Rome, le 11 décembre 2025.   (@Vatican Media)

Soixante ans de Nostra Aetate, entretien avec le grand rabbin de Rome

Lors d’un entretien à Radio Vatican, le grand rabbin de Rome a souligné les progrès accomplis ainsi que les défis qui restent à relever dans le dialogue entre juifs et catholiques à la lumière du document conciliaire. Il invite à faire la distinction entre antisémitisme et antijudaïsme et met en garde contre «la pollution politique» qui aujourd'hui «perturbe et modifie considérablement l'atmosphère, créant des malentendus et des incompréhensions».

Fabio Colagrande – Cité du Vatican

Il y a soixante ans, la déclaration conciliaire Nostra Aetate ouvrait «un nouvel horizon d’écoute, de respect et d’hospitalité spirituelle», semant – comme l'a rappelé le Pape Léon XIV lors de l’audience générale du mercredi 29 octobre– «une graine d'espérance pour le dialogue interreligieux» destinée à grandir avec le temps. Un chemin qui, assure le Souverain pontife, reste aujourd'hui «plus urgent que jamais», car le dialogue «n'est pas une tactique ou un instrument, mais un mode de vie, un chemin du cœur». C'est dans cette perspective que s'inscrit l'interview du professeur Riccardo Di Segni, grand rabbin de la communauté juive de Rome, enregistrée avant jeudi 18 décembre. Le Grand rabbin de Rome a par ailleurs été reçu en audience privé par le Pape Léon XIV jeudi 11 décembre.

Revenant sur la signification de Nostra aetate, Riccardo Di Segni souligne que le dialogue judéo-chrétien est «un travail en cours» et qu'aujourd'hui, des «gestes concrets» sont nécessaires pour «recréer un climat de relations cordiales» afin de «voir vraiment ce que l'on peut faire ensemble et construire ensemble». Entretien.

En 1965, avec la déclaration Nostra Aetate, l'Église catholique a pour la première fois explicitement reconnu le lien spirituel avec le judaïsme et condamné toute forme d'antisémitisme. Quel effet cela a-t-il eu sur la communauté juive d’alors d'entendre de tels propos?

Permettez-moi de préciser que l'Église n'a jamais rompu ses liens avec le judaïsme, qui sont fondamentaux et dont elle ne peut se passer. Ce qui a changé avec la déclaration Nostra aetate, c'est la relation que l'Église entretient avec le judaïsme actuel, le judaïsme postérieur à la venue de Jésus, qui avant Nostra Aetate pouvait être une relation de conflit, de mépris et de substitution. Avec Nostra aetate, la relation avec le judaïsme, qui n'a jamais été niée, est devenue une relation de collaboration et positive. En ce qui concerne la condamnation de l'antisémitisme, si l'on examine attentivement les mots utilisés (dans la déclaration, ndlr), on constate qu'ils ont été très mesurés et pesés, car il y avait une forte opposition de la part d'un certain type d'évêques. Il ne s'agissait pas d'une condamnation, mais d'une «déploration», mais cela a constitué un pas en avant significatif. À l'époque, cette déclaration était donc très attendue et a eu un écho positif. Certains ont été très prudente, car ils voulaient voir ce qui allait se passer, mais dans tous les cas, l'accueil a été résolument positif.

Selon vous, que reste-t-il à faire pour réaliser les aspirations de ce document?

Soixante ans ont passé, le monde a changé et tout le processus doctrinal lié à cette déclaration a considérablement évolué. Aujourd'hui, on peut la considérer comme une déclaration très prudente, très timide, et d'autres documents plus importants l'ont renforcée et confirmée. La rencontre, le dialogue entre le monde chrétien et le monde juif est un "travail en cours", c'est quelque chose qui doit être réévalué jour après jour. Il reste donc beaucoup à faire, surtout au niveau général, et il faut disposer des outils nécessaires pour gérer les difficultés actuelles, c'est là où réside le problème aujourd'hui.

Que représente ce document pour la communauté juive aujourd'hui dans le cadre du dialogue avec l'Église catholique et quelles ont été les réponses à Nostra Aetate de la part des juifs au cours de ces soixante dernières années?

Quelques années plus tard, un livre contenant les documents publiés par l'Église catholique et par des représentants juifs sur ce sujet a été publié, en tenant compte du fait que nous n'avons pas une seule organisation, mais de nombreux représentants. Ce qui était frappant, c'était la disproportion, dans le sens où sur les 500 pages du livre, 400 étaient des documents chrétiens et 100 des documents juifs. Il y avait donc une certaine attention, une certaine méfiance et une certaine réticence de la part d'un certain camp, car on ne comprenait pas exactement quels étaient les termes du tournant, qui était bien réel, mais très articulé. Du point de vue juif, même dans le domaine orthodoxe - et c'est une nouveauté importante de ces dernières années - il y a eu une attention croissante, une disponibilité croissante à la confrontation et au dialogue, et à l'idée de pouvoir travailler ensemble. Les objectifs de ce dialogue restent à définir, car du côté chrétien, on souligne souvent la nécessité d'un dialogue sur le plan théologique, tandis que du point de vue juif, on met l'accent sur l'aspect social et pratique, ainsi que sur le témoignage commun.

Notre Aetate affirme que l'Église déplore, comme vous l'avez rappelé, «les haines, les persécutions et toutes les manifestations d'antisémitisme dirigées contre les juifs à toute époque et par quiconque». Cet engagement reste d'actualité aujourd'hui, mais quels échos et quelles réalités spécifiques doit-il affronter aujourd'hui?

Tout d'abord, il faut être très clair, même lorsque l'on fait des déclarations fortes contre l'antisémitisme, sur ce que l'on entend par antisémitisme. Car c'est un terme qui a son histoire, qui a ensuite pris au XXe siècle la connotation de haine anti-juive sous forme raciale, donc une forme particulière d'hostilité anti-juive. Mais à côté de cela, il existe l'antijudaïsme, c'est-à-dire une position très polémique à l'égard du judaïsme en tant que religion, en raison des valeurs et des messages qu'il véhicule. Il faut donc veiller à préciser exactement ce contre quoi nous voulons lutter et, en outre, le réel problème actuellement est la pollution politique. En effet, ce qu'il se passe – et on l'a vu ces dernières années avec la guerre autour de Gaza – c'est que les dimensions politiques interviennent de manière prépondérante dans ces discussions, les perturbent et changent considérablement l'atmosphère, créant des malentendus et des incompréhensions.

Les juifs, les chrétiens et les musulmans sont tous descendants d'Abraham, les trois religions dites abrahamiques. Nostra aetate s'est surtout intéressée, d'un point de vue catholique, aux «frères aînés» juifs et a également parlé des musulmans. Quelle est aujourd'hui l'importance d'un dialogue à trois entre juifs, chrétiens et musulmans ?

Chaque religion a ses propres problèmes, ses difficultés et ses agendas vis-à-vis des autres: il existe un dialogue judéo-chrétien, un dialogue judéo-musulman et un dialogue chrétien-musulman. Mais au-delà de cela, il existe des besoins, des appels au témoignage et à l'action commune qui impliquent précisément ces religions abrahamiques qui se reconnaissent spirituellement dans le message de leur ancien fondateur. Travailler à trois n'exclut donc pas le travail à deux, mais c'est une nécessité absolue.

Quels sont vos espoirs pour l'avenir du dialogue interreligieux, en particulier qu'attendez-vous de l'engagement de l'Église catholique et des autres partenaires religieux pour faire avancer ce dialogue?

Comme je l'ai dit précédemment, l'agenda actuel a été perturbé, pollué par les événements politiques. Ce qu'il faut faire, surtout après ces dernières années marquées par de nombreux obstacles et incompréhensions, c'est recréer un climat de relations cordiales, voir vraiment ce que l'on peut faire ensemble et construire ensemble. Il faut expliquer, car cela peut échapper au grand public. Ces documents dont nous parlons, du moment où ce sont des documents théologiques, personne ne les regarde, personne ne les comprend, personne ne sait ce qu'il y a derrière. Un geste comme celui de Jean-Paul II, puis des Papes qui lui ont succédé, à savoir la visite d'une synagogue, a eu beaucoup un impact favorable sur le public. Les gens ont besoin de signes, de gestes concrets, et c'est sur cela qu'il faut travailler, en plus bien sûr de diffuser les messages à un public toujours plus large.

Un dialogue théologique entre juifs et catholiques est-il possible selon vous ?

Nous ne recherchons pas le dialogue théologique, pour nous, chaque foi doit rester ce qu'elle est, tout en construisant une relation de respect envers l'autre. Cela semble être un objectif simple, mais ce n'est pas le cas. Il faut donc y travailler. Y travailler beaucoup...

Merci d'avoir lu cet article. Si vous souhaitez rester informé, inscrivez-vous à la lettre d’information en cliquant ici

20 décembre 2025, 16:25