Mgr Nshole: la démarche CENCO-ECC n’est pas régie par des agendas politiques
Fabrice Bagendekere, SJ – Cité du Vatican
Les Églises catholique et protestantes de la République Démocratique du Congo (RDC) ont lancé la campagne de sensibilisation à leur proposition d’un pacte social pour «une paix durable» dans leur pays et dans toute la région des Grands-Lacs, avec beaucoup d’adhésion. Il se pose néanmoins la question de la spécificité de leur initiative, alors que d’autres démarches parallèles sont en cours, notamment les deux processus de Luanda et de Nairobi -réunis maintenant en un seul- qui, par ailleurs, ont reçu la bénédiction de toutes les instances internationales. Selon Mgr Donatien Nshole, secrétaire de la Conférence épiscopale nationale de RDC et un des acteurs en première ligne dans cette entreprise, la feuille de route proposée par les deux Églises poursuit une perspective totalement différente de celle poursuivie par les deux autres processus, qui sont purement politiques.
Réfléchir sur la gouvernance de l’Etat
L’objectif premier de cette démarche, nous dit Mgr Nshole, est de «produire au pays, aux futurs dirigeants, le socle de la refondation de l’État». Il ne s’agit pas «d'aller tout droit sur les questions de modalité de partage de pouvoir», mais d’organiser «des ateliers (…) animés par les experts» qui «réfléchissent sur la gouvernance de l’État», explique l'homme d'église. Ces panels, répartis en «neuf commissions thématiques proposées», touchant à des domaines ciblés, notamment la sécurité, l’économie, l’interculturalité, revisiteront l'histoire du pays, pour «voir ce qui a bloqué la résolution des questions qui avaient été traitées à Addis Ababa, à Sand City» -parlant ici des accords qui ont été signés dans le passé, la guerre de l’Est ayant traversé le temps- et ainsi «proposer de nouvelles voies beaucoup plus consistantes».
Une démarche parallèle ou complémentaire ?
Une autre question qui se poserait serait de savoir comment trouver une conciliation entre les deux processus, pour une solution unique. La conviction qui soutient la démarche des deux Églises, nous dit Mgr Nshole, est qu’avant toute médiation internationale, le remède au conflit interne à un pays devait partir de son sein même. «On aura beau trouver des accords au niveau du processus de Luanda et de Nairobi fusionnés, mais tant que les problèmes internes ne sont pas bien réglés, on n'avancera pas», affirme Mgr Nshole. Il faut que «les Congolais s'assoient d'abord et trouvent un consensus sur la façon dont l'État doit être mené». Par ailleurs, c’est seulement en parlant «d'une seule et même voie» que le discours congolais pourra se faire valoir dans la résolution du «conflit qui l’oppose à ses voisins».
Par ailleurs, le prélat affirme que «les deux Églises sont en train de travailler» pour trouver une commune entente avec ces deux processus unifiés. Sur ce, dit-il, la rencontre avec le président kenyan William Ruto, s’est avérée prometteuse, qui, à en croire le prélat, «a promis de faciliter des rapports de synergie» entre les deux démarches.
On ne peut imaginer des pourparlers sans le M23
Il y a beaucoup de confusion sur la feuille de route de deux Églises, notamment dans l’approche du rapprochement des parties en conflit. Cet embarras semé par une politique politicienne de certains acteurs congolais a valu aux Églises des menaces de certains partisans qui ne jurent que sur l'absence de dialogue avec le M23. Un discours emprunté au président congolais qui, dès le départ du conflit, a refusé des pourparlers avec les M23, qu’il qualifie de «mouvement terroriste». On ne peut pourtant imaginer des pourparlers sans eux, comme il en faut avec tous les groupes impliqués dans la déstabilisation du pays, tel étant l’horizon voulu par les deux Eglises, affirme le secrétaire général de la CENCO, qui a même affiché sa volonté qu’un rapprochement direct entre les deux parties en affrontement soit possible pour éviter à ses concitoyens de l’Est le calvaire qu’ils sont en train de vivre.
Ce processus ne vise pas un accord politique
Mgr Nshole explique que la voie suivie par les deux Églises n’est pas celle d’une approche directe entre le président Tshisekedi et le groupe armé M23, mais d’une approche plus globale. «Nous demandons que le M23 soit à côté des autres Congolais, autour d'une table pour réfléchir au Congo», dit-il. Par ailleurs, le prélat indique que ce processus ne vise pas un accord politique. «Il s'agit de mettre ensemble les acteurs sociopolitiques qui sont responsables de cette situation, pour qu'avec l'aide du travail que les experts auront déjà fait, ils puissent avoir la facilité de trouver un consensus».
Barrer la route à tout politique qui cherchera à torpiller les réflexions
Pour pouvoir être effective, une démarche d’une telle envergure doit obtenir beaucoup d’adhésion pour pouvoir ensuite constituer une force de pression, si pas politique au moins, morale sur les acteurs politiques qui devront assumer les conclusions des forums et «barrer la route à tout politique qui cherchera à torpiller les réflexions». Il s’agit tout d’abord de la population, censée être le souverain primaire d’un état démocratique -«pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple». Pour ce, les délégués de deux Églises ont entamé une campagne de sensibilisation, qu’ils comptent poursuivre sur tous le territoire congolais mais aussi au niveau de la diaspora. Deuxièmement, des engagements avec sanctions de la part de ceux qui prendront part à la table ronde. Ce sont «ceux qui seront dans les pourparlers qui devront eux-mêmes fixer» ces dispositions, dit Mgr Nshole. Enfin la communauté internationale, puisque, nous dit Mgr Nshole, «le Congo ne vit pas dans un monde isolé, mais dans un monde global, en interaction avec les autres États». Sur ce, affirme-t-il, «le travail est en train d’être fait pour que ce forum soit porté par la communauté internationale».
Un message bien reçu par la population
La campagne que les délégués de la CENCO et l’ECC ont initié il y a quelques mois commence à se faire connaître. Un grand engouement s’est manifesté partout où «les pères spirituels» - comme les appellent les politiques congolais- se sont déplacés. Au niveau national, à Lubumbashi, par exemple, où la population leur a affirmé son soutien total, au cours de la campagne de sensibilisation menée par les délégués dans cette capitale économique du pays, mais aussi au niveau international. En effet, les délégués ont rencontré différentes instances pouvant contribuer à l’aboutissement de ce projet, dont l’Union Africaine, par sa commission ou encore via différents chefs d'États, mais aussi l’Union européenne.
L’engouement se manifeste aussi dans les diverses rencontres avec les acteurs politiques du pays, dont le président de la République lui-même, qui s’est montré favorable. Pour Mgr Nshole, cela constitue «déjà un signe que c'est un message -[le message dont ils sont porteurs]- attendu, c'est un message bien reçu». Plus encore, au vue de cette situation, le prélat ne peut s’empêcher d’espérer que «les choses s’accélèrent».
Une première initiative venant de la société civile
Les dialogues, il y en a eu d'autres dans l’histoire récente de la RDC, et dans lesquels l'Église a presque toujours été présente en tant que témoin. Pourtant, les accords conclus n’ont constitué que des réponses palliatives, d'où la résurgence chaque fois du même problème. Que les Églises convoquent aujourd’hui ces pourparlers, on pourrait bien se demander quelle est la garantie que leur démarche n’en vienne à accoucher d’une sourie, comme il en est pour les dialogues précédents. Pour Mgr Nshole, la spécificité de ce forum réside dans le fait que «l'initiative vient de la société civile», représentée ici par l'Église catholique et les Églises protestantes. «Cela constitue toute la différence», dit-il. En effet, nous explique le prélat, «les différents dialogues qu'a connu le pays ont été régi par les agendas politiques, leurs initiatives ayant été prises par les politiques».
«Tous ceux qui peuvent y contribuer par leur expertise ou dans la facilitation des moyens logistiques auront fait vraiment beaucoup de bien à la République démocrate du Congo», conclut le prélat.
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