Est de la RDC: les minerais, source d’insécurité et d’appauvrissement
Fabrice Bagendekere, SJ – Cité du Vatican
La nouvelle a été retentissante: trois ressortissants chinois ont été condamnés en République Démocratique du Congo à 7 ans de prison et une amande de 600 000 dollars américain. Reconnus coupables de l’exploitation minière illégale et blanchiment d’argent, les trois hommes avaient été interceptés au Sud-Kivu avec 10 lingots d’or et une somme de 400 000 dollars en espèce. La nouvelle a fait la une des médias nationaux et internationaux. Pour nombre d’analystes, cet événement réveille la question des irrégularités et de l’illicéité dans l’exploitation minière dans ce pays, particulièrement dans sa zone Est, martyrisée par des violences de toute sorte, étroitement liées à la présence des certains minerais dans le sous-sol de la RDC, scandale géologique, dit-on.
L’abbé Justin Nkunzi, Directeur de la Commission Justice et Paix de l’archidiocèse de Bukavu a livré une analyse de la situation dans cet entretien accordé à Radio Vatican – Vatican News.
Monsieur l’Abbé Justin Nkunzi, peut-on dire que cette action judicaire contre des ressortissants étrangers est le résultat d’un processus de nettoyage du climat minier, ou simplement un coup contre des individus moins puissants?
Merci pour cette question très pertinente. Je crois que ce n'est pas un coup monté contre des individus moins puissants, mais au contraire, cela manifeste la volonté de l’actuel l'exécutif provincial, et même toute la société civile, qui souhaite qu'on clarifie effectivement la question minière dans cette province. Parce que ce n'est pas normal que des individus se promènent avec des espèces d'argent, avec des lingots d'or, que des gens puissent être finalement plus riches que la province. Et je crois que le professeur Purusi, le gouverneur de la province de Sud Kivu, a trouvé judicieux cette idée de clarifier un peu et de mettre la main sur ces individus. Je vous jure que ça demande du courage, de la persévérance. Je crois que toute la population de Sud Kivu est derrière cette idée, cette politique de mettre une clarté dans cette mafia, un peu institutionnalisée dans ce secteur minier.
Dans un séminaire hybride organisé à Rome par la Société des Missionnaires d'Afrique, à l’occasion de la commémoration du 60è anniversaire de la canonisation des martyrs de l'Ouganda, le cardinal Fridolin Ambongo, parlant de l’exploitation des minerais au Congo, avait levé le voile sur des nombreuses situations difficiles vécues par les Congolais, à la merci notamment «des entreprises minières multinationales, déterminées à extraire des minerais quel qu’en soit le coût». Quel effort fait le gouvernement pour changer cette situation?
Au niveau du gouvernement national, il y a plusieurs services étatiques qui sont fonctionnels au ministère des Mines, à savoir l'administration des mines, les cadastres miniers, les services d'expertise, d'évaluation et de certification des mineraux, les services d'assistance et d'encadrement de l'exploitation minière à petite échelle, les services géologiques provinciaux, l'Agence Congolaise de l'environnement, la police de mines et hydrocarbures. Je comprends, il y a beaucoup de services, mais la grande question est de savoir quelles sont les retombées de ces services dans l'effectivité de la mobilisation et du contrôle, parce que ce n'est pas normal que malgré tous ces services, des messieurs débarquent en province avec ou sans document et on les retrouve dans les carrés miniers. Et quand vous touchez sur eux, vous avez mille coups de téléphone pour dire «Non, il est irrégulier, il est régulier, comprenez, ne touchez pas». C'est un peu cette dichotomie-là et cette multiplicité de services qui existent et qui sont fonctionnels, mais à côté desquels il y a beaucoup d'irrégularités. Alors on se pose la question de savoir si les efforts de la part du gouvernement sont aussi suivis d'une volonté réelle de changement ou c'est un problème tout à fait lié à des individus qui choisissent d’empêcher ce changement. Et là encore, c'est le gouvernement qui doit vraiment essayer… et j'avoue qu’apparemment le gouvernement a décidé de traquer ces genres de personnes. Mais, comment un chinois peut se retrouver dans les bas-fonds de l'Urega, de Walungu? Comment parvient-il ici, avec les services de la DGM – Direction générale des migrations – qui contrôlent même les poules qui entrent, qui contrôlent même les légumes qui entrent? Non, on ne contrôle pas ces personnes qui se promène à ciel ouvert dans ce carré minier. Voilà un peu ce qui est paradoxal, la multiplicité des services, mais sans retombée visible.
Les zones d’exploitations minières, observe-t-on, sont souvent des zones de grandes misères, les populations étant obligées à céder leurs champs, seule source de revenue et de survie familiale. Quelles concessions sont faites ou plus généralement, quel impact ont la découverte et l’exploitation des gisements miniers sur la population environnante? Quelles sont les traces concrètes notables dans les zones d’exploitations minières, souvent éloignées des centres urbains?
Il y a plusieurs éléments à noter dans le chef de l'impact environnemental. Non loin de Bukavu, à Luhwinja par exemple, il y a des lacs artificiels où vous trouvez du cyanure, et autour de ces lacs artificiels, il y a des bétails qui crèvent, il y a des gens qui tombent malades, de l'eau qui est polluée. Un peu partout au sud la province, ou partout où vous creusez, il y a un peu de minéraux, et vous trouvez que ce sont les femmes et les enfants qui travaillent dans les carrés miniers, avec du matériel de fortune. Les gens ne sont pas protégés contre les maladies. Le trafic des armes légères, le brigandage, de toutes sortes, c’est dans ce milieu-là. Mais le fait est celui-ci: partout où vous trouvez des minéraux, là vous allez trouver qu'il y a un trafic illicite, qu’on n’arrive pas à cerner ni à savoir comment il est organisé.
Les minéraux sont au croisement entre l'insécurité, l'appauvrissement de la population et l'absence de l'État dans ces zones-là. C'est pour cela que, pour y mettre de l'ordre, comme disait le Pape François à Kinshasa, il faut ôter ces mains du Congo. Parce que ce qui arrive ici n'est pas seulement de la faute ou la culpabilité des Congolais, mais c'est une mafia internationale. Parce que ce n'est pas normal qu'ailleurs, quand il y a des otages, avec tout le respect que j'ai pour ces personnes, quand on les libère, c'est la fête - et je suis aussi en pleine fête avec eux. Mais ici, vous avez des camps de déplacés, des camps de gens qui meurent chaque jour par milliers, par centaines de milliers. Mais les projecteurs internationaux n'arrivent pas ici, les médias n'arrivent pas ici.
C’est comme si le trafic était officiellement permis avec ces multinationales qui se portent à merveille ici et ne tardent pas à faire des leçons aux populations locales en disant: «c'est à cause de vous-même que vous êtes pauvres, c'est à cause de vous-même que vous êtes arriérés», pour reprendre les mots encore plus barbares. Vraiment, est-ce qu'il y a moyen qu'on lève l'hypocrisie sur ces zones-là? Parce que des gens meurent et on sait que c'est une guerre à la recherche des minéraux, à la recherche de ces ressources naturelles. Or, comme on l'a toujours dit, il y a moyen de gagner ensemble, de faire des partenariats gagnant-gagnant. Les minéraux sont ici, on peut les exploiter, mais dans un processus gagnant-gagnant. Que ceux qui exploitent prennent ce qu'ils peuvent prendre, mais qu'ils laissent quand même localement des petites dividendes, qu'ils améliorent la scolarité, qu'ils améliorent les services médicaux, qu'ils améliorent l'état de route.
Vous allez trouver qu'ici, il y a des collines qu'on a rasées, sans état d'âme. Entre-temps, les services de base n'existent pas. C'est ça ce qui fait mal, et peut-être ce qui fait que les gens vont dans la brousse pour commencer des milices, pour faire eux aussi la loi, en fait. Parce que ce n'est pas normal que vous produisez ce qui enrichit les autres, et vous avez en contrepartie seulement l’insécurité et la mort. Je ne dédouane pas nos services de l'état qui doivent jouer leur rôle régalien, mais parfois il y a une criminalité qui fait que l'état a du mal à opérer dans certaines zones, avec une complicité à tous les niveaux.
La situation de la population ne s’améliore donc pas?
Il n’y a aucune amélioration. Nous sommes dans la ville de Bukavu. Si vous quittez la ville, juste après 5 kilomètres, les larmes vont vous couler! Les services de base n'existent pas. Ce sont les Eglises et les organisations non-gouvernementales qui essayent de faire quelque chose. L'État essaie de mobiliser, mais ça semble difficile. Le constat est que les services de base ne fonctionnent pas. Quand on demande à ceux qui exploitent les minerais d’entretenir les routes de manière conséquente comme ailleurs, ils parviennent à se dérober de telles obligations, pourtant contractuelles dans les codes miniers du pays. Je crois qu'autour de cette question, il y a encore beaucoup à faire. Il faut accompagner l'État, il faut encourager le gouvernement provincial, il faut encourager les organisations de la société civile à être encore plus vigilantes. Il faut aussi améliorer le climat des affaires, de sorte que l’exploitation de ces minerais se fasse dans un processus transparent, dans un processus gagnant-gagnant, pour que sur les sites d’exploitation, il y ait de belles écoles, de belles routes. Il y a l'une ou l'autre chose qui a été faite, mais c'est vraiment dérisoire par rapport à ce qu'ils produisent comme bénéfice.
Peut-on vraiment espérer que dans un avenir proche la situation et le climat des affaires minières s’améliorent en RD Congo, et surtout qu’il soit bénéfique pour la population? Y a-t-il déjà quelques signes d’espoir?
Je crois qu'il y a des signes d'espoir, parce que le gouvernement national et provincial ont bien compris que ce n'est pas normal que les minerais du Congo enrichissent les étrangers ou que les guerres soient entretenues par le marché de ces minéraux. Il y a des signes d'espoir, mais nous devons vraiment faire une conversion individuelle et collective pour faire passer d'abord l'amour de la patrie avant les intérêts égoïstes. Il y a plusieurs documents, plusieurs engagements, il faut que chacun prenne ses responsabilités et je crois que je suis du côté des optimistes. Les choses peuvent changer si nous tous nous nous impliquons effectivement à être du bon côté du changement. Les rêves sont possibles.
L’espérance est l’invitation que nous lance l’année jubilaire!
Nous sommes tous «pèlerins de l'espérance» et nous espérons que demain sera mieux qu'aujourd'hui. Et nous sommes décidés à travailler main dans la main dans cette sous-région des Grands Lacs. Nous avons des initiatives communes au niveau de l’ACEAC (Association des Conférences épiscopales d’Afrique centrale), au niveau de nos églises transfrontalières. Les populations locales veulent favoriser la cohésion sociale et le respect mutuel et les rêves sont encore permis. Je vous remercie.
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