Protestation contre les agensts de l'ICE à Chicago, ce dimanche 12 octobre 2025. Protestation contre les agensts de l'ICE à Chicago, ce dimanche 12 octobre 2025.  (ANSA) Les dossiers de Radio Vatican

La politique migratoire de Donald Trump inquiète l'Église américaine

La présidence de la conférence épiscopale américaine a fait part de ses vives préoccupations au Pape ce vendredi. «Même si on nous critique, il faut répondre aux demandes de l'Évangile» et aux besoins des migrants, aujourd’hui terrifiés par les vagues d’arrestations. Mgr Broglio interpelle ses fidèles, et les invite à respecter la dignité humaine à tout instant de la vie, pas uniquement à sa conception ou sa fin naturelle. Entretien.

Marie Duhamel – Cité du Vatican

Le bras de fer se joue en ce moment dans la ville natale du Pape. Après Los Angeles, Washington DC, Portland ou Memphis, le président américain a annoncé le déploiement de la garde nationale à Chicago, pour protéger la police fédérale de l’immigration après la tenue de plusieurs manifestations devant des bâtiments de l’ICE (Immigration and Customs Enforcement), mais aussi pour appuyer les agents dans leur travail contre l’immigration clandestine et le crime.

300 membres de la Garde nationale de l'Illinois et 200 membres de la Garde nationale du Texas avaient été mobilisés dans la région de Chicago la semaine passée, pour être presque aussitôt empêché d’agir. D’abord pour deux semaines, un juge estimant que l’arrivée de ces hommes était «susceptible de provoquer des troubles civils» et qu’elle «ne ferait qu'ajouter de l'huile sur le feu», puis sine die samedi par une cour d'appel fédérale.  

À Chicago, les arrestations se compteraient par dizaines chaque semaine. Les personnes sont arrêtées en plein jour, sans avertissement, parfois avec brutalité, sans pouvoir prévenir leurs proches, alors qu’elles sont au travail ou qu’elles vont simplement faire leurs courses, selon un scenario qui se répète dans de nombreuses villes de différents États américains, en particulier démocrates.

Face à cette situation, l’Église exprime sa vive préoccupation. Entretien avec le président de la conférence épiscopale américaine, Mgr Timothy Broglio, qui a été reçu vendredi 10 octobre au matin par le Pape Léon XIV au Vatican.

Entretien avec Mgr Timothy Broglio, président de la conférence épiscopale américaine

Le président Trump a fait de la lutte contre l’immigration illégale une priorité, en interdisant des ressortissants de plusieurs pays de voyager aux États-Unis, en accélérant les arrestations et les procédures d’expulsions jusque dans l’ancien Swaziland, le royaume d’Estawini au sud du continent africain. La pression est désormais maximale dans plusieurs États, et évidemment au sud. Mercredi dernier, l’évêque d'El Paso a été reçu, avant l'audience, par le Pape. Il lui a remis des lettres en espagnol de migrants terrifiés. Est-ce un sentiment qui s’est généralisé sur le territoire américain? Qu'induit-il?

Même ceux qui se trouvent dans le pays avec tous leurs papiers en règle ont peur. C'est vraiment épouvantable. On ne peut pas vivre jour après jour dans une situation où l'on se demande si on sera là demain ou ce qu'il va se passer pour mes enfants ou ma famille.

On dit que les gens n'osent plus sortir, faire leurs courses ou aller à l'église.

Oui, ils ont peur parce qu'on ne sait jamais si quelqu'un va arriver, leur demander leurs papiers pour s'assurer qu'ils sont en règle.

Ces derniers jours, le Pape a encouragé des syndicats de Chicago et des associations catholiques américaines afin que tous prennent soin des migrants. Est-ce qu’il est facile, dans la pratique, de se mettre en porte à faux par rapport à la politique de l’administration Trump pour les aider juridiquement, leur apporter de la nourriture, même l'eucharistie?

Facile? Pas tout à fait. Nous avons la possibilité d’assurer les sacrements, parce que la Constitution des États-Unis garantit la liberté religieuse. On cherche également à les aider avec des avocats, ce qui est déjà un peu plus difficile parce qu'il faut faire une marche en avant. Concernant la situation humanitaire, même si on nous critique, il faut répondre aux demandes de l'Évangile. Il n'y a aucune question à se poser, le Seigneur nous dit qu'il se présente à nous dans la personne qui est affamée, assoiffée, qui a besoin de se vêtir ou de se loger. Et là encore, nous nous appuyons beaucoup sur la liberté religieuse, pour dire que notre religion, notre foi, nous oblige à répondre à ces situations.

Est-ce que la désobéissance civile est un délit ou un crime: d'empêcher des arrestations ou d'interdire, par exemple, des agents de la police d'immigration d'entrer dans des soupes populaires?

Ça, c'est vraiment un problème. Il s’agit en effet d’agents de la loi. Nous avons cependant déjà protesté, et de nombreuses fois, pour que soit respectée la dignité humaine au moins dans les écoles, dans les églises et dans les structures de santé publique. Parce qu'évidemment, il s’agit de cela. Il faut aussi rappeler que la dignité de la personne humaine commence à la conception de la vie et s’achève à la fin naturelle de la vie, mais il faut aussi la respecter à tout moment de la vie entre les deux. On ne peut pas choisir qu’on va la respecter à ce moment-là et pas à un autre. Il faut respecter la personne humaine tout le temps. Et je crois qu'il faut inviter les gens à réfléchir à cela.

Comment procède l’Église pour faire réfléchir au respect des migrants, selon quelle méthodologie?

Nous ne cessions d’interpeler les gens afin qu’ils s'arrêtent un petit instant, pour écouter l’autre avec humilité et réfléchir. Nous avons également, par l'entremise des avocats, chercher à mettre un terme aux actions contre les immigrants. Évidemment, ça dépend beaucoup de juridiction en juridiction. La question de la résistance existe toujours, d’ailleurs, nous avons déjà une histoire de résistance civile pacifique contre les lois qui sont immorales ou contre des actions qui empêchent la personne humaine de vivre toutes ses possibilités. Mais quand même, il faut toujours chercher à respecter la loi et à négocier.

Et nous avons fait aussi beaucoup des interventions avec les députés et les sénateurs et aussi avec le gouvernement fédéral pour chercher à changer des avis. Mais ça, c'est très difficile parce que c'est un discours très long et très compliqué.

Il faut être pragmatique et aussi théologique.

Oui, justement, il faut reconnaître ce que l'on peut faire, et ce que l'on ne peut pas faire.

Concernant vos fidèles, on imagine que les catholiques ont des perceptions différentes de ce qui se passe. Que constatez-vous? De l’effroi, de la satisfaction, de l’indifférence, un élan de solidarité?

Il y a un peu de tout. Mais ce qui me frappe beaucoup depuis le mois de janvier, c'est que les gens, même ceux qui se disent catholiques pratiquants, accordent beaucoup plus de confiance aux messages émanant des partis politiques que de nous, les successeurs des apôtres. Et ça me gêne beaucoup parce que quand je parle, vraiment, je n'ai pas d'intérêt politique. Mon intérêt, c’est l'Évangile et je dois y être fidèle parce qu’à la fin de ma vie, je dois répondre à l’envoi que j'ai reçu. Et l’Évangile est clair, ce n'est pas quelque chose que je peux interpréter. D’ailleurs, quand des gens me disent «Vous êtes en train de faire la politique» et je leur demande toujours ce que, eux, ils s’apprêtent à répondre quand le Seigneur les interrogera sur l'Évangile selon saint Matthieu, le chapitre 25. «Qu'est ce que vous allez répondre?» Parce qu’Il a déjà dit que c'est ça la matière de l'examen final. Ce n'est pas un examen académique, mais c'est l'examen de la vie. Et moi, il est de ma responsabilité de préparer les gens à ce moment.

Dans un pays de migration composé d'anciens migrants, comment est-ce qu'on peut justement faire comprendre aux gens que les migrants, au-delà d'une logique économique, sont une opportunité pour notre foi?

Il faut annoncer l'Évangile. Il faut rappeler que nous sommes un pays d'immigrants, il ne faut pas aller très loin dans l'histoire de toute personne aux États-Unis pour trouver les immigrés. Et il faut donc rappeler que la dignité de la personne humaine, commence à la conception, termine à la fin naturelle de la vie et à chaque instant entre les deux. Il faut trouver la meilleure manière de communiquer ce message à tout le monde.

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13 octobre 2025, 13:11