Cardinal Parolin: la présence des chrétiens au Proche-Orient est essentielle
Andrea Tornielli, en Jordanie
«Je voudrais rappeler la dimension constitutive de la présence chrétienne...». En visite en Jordanie, le cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d'État du Saint-Siège, a présidé la longue et solennelle liturgie de dédicace de la nouvelle église du Patriarcat latin qui s’élève sur le lieu du Baptême du Christ. Plus de six mille fidèles étaient présents, dont beaucoup n'ont pas pu trouver de place à l'intérieur de l'église. Un signe de vitalité et d'espérance.
Nous sommes en Terre Sainte, sur le lieu du baptême de Jésus, encore champ de mines il y a quelques décennies. Non loin d'ici se déroule une guerre, déclenchée par les attaques du Hamas, dont le prix du sang et de la destruction est payé principalement par les civils, en particulier à Gaza. Quel message souhaiteriez-vous transmettre?
C'était une très belle fête, bien organisée, mais elle a surtout soulevé une grande espérance. Et ce n'est pas parce que c'est désormais un cliché de parler d'espérance, en cette année jubilaire consacrée à ce thème. Le message que l'on peut tirer de cette journée est celui-ci: dans une région tourmentée par tant de conflits, lacérée par tant de tensions, ce qui était autrefois miné est aujourd'hui une étendue de terre bien cultivée. C'est en soi un signe d'espérance: en effet, comme le dit le prophète, les lances peuvent être transformées en faux, les armes peuvent devenir des instruments de paix. La participation nombreuse et vivante de la population est également un motif d'espérance. Il y a des forces vives et le christianisme peut aussi aider, avec la grâce de Dieu, à trouver les moyens de résoudre les conflits actuels.
En Jordanie, la minorité chrétienne est assimilée, partie intégrante du royaume. Dans d'autres cas, il n’en est hélas pas ainsi. Quel est le rôle des chrétiens au Proche-Orient aujourd'hui?
Les chrétiens sont présents dans ces pays depuis des temps immémoriaux, ils continuent à faire partie intégrante des États et des sociétés proche-orientales, même si, malheureusement, tous les événements du passé lointain et récent, et du présent, favorisent leur départ et que, par conséquent, les communautés chrétiennes dans tous les pays sont en train de s'amenuiser numériquement.
Je voudrais insister sur cette dimension constitutive de la présence chrétienne: arabe signifie aussi chrétien, car il existe sur ces terres une communauté chrétienne enracinée dans le passé. Je voudrais donc souligner cette dimension fondamentale et constitutive de la présence chrétienne. Les chrétiens, en tant que partie constitutive, peuvent apporter une contribution dans tous les domaines. Comme le Pape l'a dit à plusieurs reprises, un Proche-Orient sans chrétiens serait un Proche-Orient plus pauvre, il lui manquerait une expression fondamentale à la réalité même de cette région.
Êtes-vous inquiet de l'évolution de la situation en Syrie?
J'ai lu les déclarations positives qui ont été faites et qui vont dans le sens souhaité par le Pape dans son discours au corps diplomatique: espérons qu'un temps nouveau puisse commencer pour la Syrie, où tous les citoyens auront les mêmes droits et les mêmes devoirs devant la loi. C'est le concept de citoyenneté que le Saint-Siège propose également pour tous les pays: tous les citoyens sont égaux, ont les mêmes droits et les mêmes devoirs devant la loi. Nous espérons vraiment que ces affirmations seront suivies d'effet et que, par conséquent, les droits des minorités et les droits des chrétiens seront également protégés.
L'élection du président du Liban a enfin eu lieu après deux ans de vacance du pouvoir. Comment accueillez-vous cette nouvelle donne?
C’est un signe positif. Au cours de ces deux années, nous avons toujours soutenu qu'il était important d'assurer la continuité et la subsistance du pays tel qu'il est configuré, c'est-à-dire -pour reprendre la célèbre phrase de saint Jean-Paul II- «un pays- message»- un pays où les diversités sociale, politique et religieuse, coexistent ensemble. Nous avons toujours soutenu que la première chose à faire était d'assurer la présidence, c'est-à-dire de renforcer les institutions. C'est donc un signe d'espérance. Nous souhaitons que cette élection marque une nouvelle phase pour le Liban, dans laquelle toutes les forces politiques se réunissent pour trouver un terrain d'entente et travailler pour le bien du pays et, surtout, pour les réformes dont le pays a absolument besoin.
Lesquelles par exemple?
Par exemple, rendre justice aux victimes et aux membres des familles de l'explosion du port de Beyrouth et retrouver une stabilité économique qui avait été perdue et qui avait causé beaucoup de pauvreté et de souffrance dans le pays. C'est une bonne chose que l’élection d’un président ait abouti.
Lors de ses récents voyages au Luxembourg et en Belgique, le Pape, évoquant des situations de guerre, a appelé à des «négociations honnêtes» et à des «compromis honorables». Pourquoi est-il devenu si difficile aujourd'hui de négocier pour parvenir à un compromis? Pourquoi la diplomatie semble-t-elle muette? Je pense en particulier au conflit en cours au cœur de l'Europe chrétienne entre la Russie et l'Ukraine.
Il est vraiment très triste que nous ne soyons plus capables de négocier et que, comme on dit, le «droit à la force» l'emporte sur la «force du droit». Le Pape, dans son discours au corps diplomatique, a évoqué les diverses causes de cette situation, expliquant qu'il existe un climat de méfiance et de peur réciproque, qui crée une polarisation toujours plus grande entre les États et entre les communautés et empêche de trouver des solutions communes. J'insiste précisément sur ce point: il y a un manque de confiance. Pour négocier, pour dialoguer, il faut un minimum de confiance en l'autre. Et il faut aussi un autre aspect sur lequel le Pape a insisté: la capacité à sortir de soi, à entrer dans le point de vue de l'interlocuteur qui, dans ce cas, peut être l'adversaire ou l'ennemi.
Ce qu'il faut, c'est la capacité de se rencontrer, de comprendre ou, au moins, de prendre au sérieux les raisons de l'autre. Ce sont les raisons pour lesquelles il est devenu très difficile de négocier aujourd'hui. À cela s'ajoute -et le Pape y a également fait allusion- la crise des institutions chargées du dialogue, qui sont nées précisément pour le favoriser, à savoir les organisations internationales: elles ont aujourd'hui du mal à continuer d'exercer le rôle qu'elles ont été en mesure de remplir immédiatement après la Seconde Guerre mondiale. Il y a beaucoup d'autres causes, mais je dirais que pour moi, c’est celle-là.
Dans ses vœux au corps diplomatique, le Pape a dénoncé le risque de voir progresser une mentalité de «club» qui nous fait préférer ne parler qu'avec ceux qui pensent déjà comme nous. François a évoqué à plusieurs reprises l'esprit d'Helsinki: que signifie-t-il aujourd'hui?
L'esprit d'Helsinki, c'est précisément le dépassement de cette mentalité. Nous étions dans un monde divisé, un monde opposé, divisé en deux blocs. Peut-être qu'aujourd'hui ces «clubs» se sont fragmentés et multipliés. Et d'une certaine manière, c'était peut-être plus facile quand il n'y avait que deux blocs. L'esprit d'Helsinki est précisément l'esprit de quelqu'un qui a dépassé la catégorie de l'ennemi et qui a réussi à trouver un terrain d'entente même avec ceux qui ne pensaient pas comme lui. Helsinki représente cette capacité à dépasser son propre point de vue ou à le considérer comme unique et exclusif, en acceptant aussi qu'il existe d'autres points de vue qui sont légitimes et qui peuvent être conciliés même avec le mien, évidemment en renonçant à quelque chose de ma part aussi. C'est ce qu'on appelle le compromis sain. Une autre caractéristique de la négociation devrait également être la capacité à s'orienter vers un compromis afin de surmonter le conflit.
En ce sens, que signifie l'expression «paix juste»?
La paix juste, à mon avis, signifie une paix fondée sur le droit international et les déclarations de l'ONU. Ce sont les instruments dont dispose la communauté internationale pour régler les relations entre les pays et entre les communautés d'États. D'un point de vue chrétien, nous savons ce qu'est la justice sous ses différentes facettes, mais je dirais que fondamentalement, la «paix juste» signifie une paix qui est appropriée au droit international et à ses règles.
Jean-Paul II écrivait qu'il n'y a pas de paix sans justice et pas de justice sans pardon...
Dans la pensée chrétienne, la justice ne consiste pas simplement à donner à chacun ce qui lui revient selon la justice distributive, mais c'est une justice que Jésus lui-même évoque, une justice supérieure, qui devient l'amour et le pardon envers les autres. Le Pape a parlé au corps diplomatique de la "diplomatie du pardon". Ce passage est très beau, précisément parce qu'il évoque la capacité d'aller au-delà des simples exigences de la justice.
L'accord provisoire pour la nomination de nouveaux évêques en Chine continue d'être au centre d'une controverse soulevée tant dans la sphère politico-internationale que dans la sphère ecclésiale: il est présenté par certains comme une capitulation. Quelle est sa véritable signification?
Il est logique que cela se produise face à une situation aussi complexe que celle de la Chine, issue d'une histoire particulièrement difficile. Les opinions peuvent aussi être très différentes. Je l'ai toujours dit: je ne suis pas choqué qu'il y ait des gens qui pensent différemment parce qu'ils croient qu'il y a d'autres solutions. Le Saint-Siège a estimé qu'il s'agissait de la solution la plus efficace: entamer le dialogue à partir de l'une des questions qui étaient sur la table. L'une des questions les plus importantes, mais aussi les plus difficiles, était précisément celle de la nomination des évêques. Je crois que l'accord sur la nomination des évêques propose fondamentalement deux choses qui avancent lentement -il y a aussi parfois des retours en arrière- dans la bonne direction, à savoir le fait que tous les évêques soient en communion avec le Pape. C'est fondamental pour l'Église catholique.
C'est la tentative, pas toujours réussie, de faire l'unité dans l'Église en surmontant les différences et en assurant une certaine normalisation dans la vie de l'Église. Bien sûr, il n'y a pas de solution «magique», mais une solution qui propose un chemin. Un chemin lent et pas facile, qui me semble cependant porter des fruits, qui ne sont peut-être pas encore visibles, mais qui porteront certainement plus de fruits à mesure que la confiance et la capacité de dialogue entre les parties augmenteront.
Il y a donc des raisons d'espérer dans ce cas aussi?
Je crois que oui, il y a des raisons d'espérer. Le Pape, dans son discours au Corps diplomatique, a parlé de la diplomatie de la patience. Je crois que dans ce cas plus que dans d'autres, mais peut-être en général, nous devons avoir la capacité de patience à laquelle nous invitait déjà l'apôtre Jacques: regardez l'agriculteur qui sème et qui attend patiemment que la pluie vienne, que la neige vienne et que la semence porte du fruit. Je crois que dans ce domaine aussi, comme dans tant d'autres domaines de la vie, nous devons avoir cette capacité de regarder au-delà des résultats immédiats. Nous sommes aussi esclaves de l'immédiat, malheureusement. Je crois que beaucoup des réactions que vous avez évoquées sont aussi dues précisément à cet aplatissement sur le présent, sans la capacité aussi de se projeter dans l'avenir, en tenant compte du passé et des difficultés vécues dans le passé. Donc, sans illusions faciles -je crois que personne ne se fait d'illusions en la matière- oui, avec l'espérance et l'engagement d'avancer sur ce chemin, et avec la grâce de Dieu, il portera les fruits espérés.
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